Nous sommes le 18 et, comme annoncé, voici un petit HS concernant ce cher Elias !
Avant de vous le livrer, quelques petites choses :
- Vu que les demandes ont été majoritaires concernant la partie "morbide" du passé d'Elias, j'ai résolu de vous faire lire l'un des chapitres bonus exclusifs au livre relié, car il est totalement centré sur ça. Je ne pensais & ne voulais pas transférer l'un des bonus ici, mais je n'allais pas non plus me paraphraser pour concocter une copie inutile.
- Vu que je trouve ça un peu injuste pour les personnes qui ont déjà lu ce chapitre, puisqu'elles ont acheté le livre, je leur propose une petite alternative, si ça les tente ; pourquoi ne pas poser directement des questions à Elias (et n'importe quelles questions, autant que vous souhaitez, no limit) ? Non seulement ce genre de procédé m'amuse comme une folle, et je ne sais pas pour vous, mais j'adore lorsqu'on me laisse la possibilité de faire ça pour des personnages de fiction que j'aime bien.
Si cela vous dit, posez-les lui en commentaire de cet article ;)
- Et pour finir : j'aimerai beaucoup pouvoir développer d'autres petits hors-sujets sur un, ou des, personnages particuliers à l'avenir. C'est un excellent exercice, qui me permet de développer de nouvelles bases ou d'en consolider des existantes concernant le background de mes personnages. Par conséquent, j'ouvre grand ma porte à vos envies, idées, suggestions et besoin. Après tout, l'histoire est déjà sur le net pour mon lectorat, autant composer sur des choses qui vous intéresseront le plus possible - même si évidemment, je vous réserverai des surprises de mon cru. J'ai donc l'idée de créer un article spécialement destiné à recueillir vos suggestions, puisqu'en plus j'ai la possibilité de mettre un lien direct et permanent dans la colonne de droite du blog (aller et revenir dessus sera donc très facile, en un clic !)
Dites-moi ce que vous pensez de ces projets en commentaire (j'ai réellement besoin de connaître votre avis là-dessus :D)
PS : j'ai également remis en route mon compte Ask, à toutes fins utiles ;)
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Sous ma peau.
Il se sentait comateux.
Comme souvent depuis ces derniers jours. Ils devaient le droguer à son insu au moyen de cette misérable perfusion qu'on lui administrait de force. Elias ne pouvait remuer la main sans sentir la piqûre vicieuse d'une intraveineuse, qui lui donnait envie de l'arracher et de la jeter au loin. C'est ce qu'il avait fait les premiers jours, à tel point que l'équipe médicale avait fini par le sangler à son lit, comme on l'aurait fait avec un malade mental. Il avait bouilli d'une telle rage, d'une telle haine, essayant par tous les moyens de libérer ses poignets, en vain. Il avait continué de refuser de manger, alors la perfusion était restée.
Néanmoins, il commençait à se calmer. Il s'était fait une raison ; à part se jeter du toit ou se pendre, il n'avait aucune chance de réussir à se tuer pour de bon en plein cœur d'un hôpital. Et pour tout dire, il commençait à s'ennuyer ; sur la télé de sa chambre, pas de câble, et supplier ses rares visiteurs de lui apporter quelques livres l'agaçait profondément. Pas le choix, il allait devoir donner le change pour partir enfin de cet endroit blanc et puant. Son plus gros effort allait être non pas de jouer la comédie, mais de réussir à apaiser momentanément la haine et le dégoût qui l'empêchaient de redevenir un acteur accompli. Une rage froide et sourde grondait en lui, il avait toutes les peines du monde à se maîtriser, à ne pas injurier le corps médical, à ne rien casser quand il était libre de ses mouvements.
Pourtant, cette haine était presque exclusivement dirigée contre ses parents, son demi-frère, sa famille ; mais ils n'étaient pas là, ils ne venaient presque jamais, ou alors seulement pour prendre connaissance de son état sans même venir le voir. Il ne pouvait donc pas la décharger, l'expulser.
S'obligeant à respirer profondément pour essayer de calmer sa nausée, et se calmer lui, Elias fixa le plafond. Il en avait compté et recompté les dalles une centaine de fois.
Tout ça à cause de la vanité de sa mère.
Personne n'avait compris son geste, dans sa famille. Mais surtout, personne n'avait compris son choix d'exécution, c'est d'ailleurs cette question qui les intéressait le plus. Il aurait pu se pendre ; emprunter l'un des revolvers de collection de son oncle ; se jeter du haut d'un pont, dans le fleuve ; vider l'armoire à pharmacie. Cela, au moins, c'était propre - à l'exception du revolver, bien sûr, mais ça, c'était courageux et viril, n'est-ce pas ? Mais non. Il avait choisi de se couper les veines, de recouvrir de sang le carrelage de la salle de bain. Quelle honte.
C'est de la mise en scène, pérorait James. Il a voulu faire son intéressant. Il a trop regardé de films de gonzesses.
Pauvres abrutis. Ils n'avaient rien compris. Il ne comprendraient jamais rien.
Avaient-il déjà oublié les autres fois ? Certes moins impressionnantes, mais... Ils ne l'avaient jamais pris au sérieux.
De la mise en scène ? Ben voyons. Si cela avait été son désir, alors Elias aurait vraiment soigné sa représentation. Il leur aurait donné à voir un spectacle qui serait resté gravé dans leur rétine pour toujours.
Il avait juste voulu se libérer, se libérer de lui-même, et c'est tout ce qu'il avait trouvé.
Elias se détestait. Il haïssait son enveloppe physique presque autant que lui-même. Parce qu'il haïssait sa famille, et la notion même d'hérédité.
Son physique ? Son père.
Ses yeux ? Sa mère.
Son intelligence ? Son père, et son père à lui, et son père avant lui.
Elias n'avait rien qui lui appartenait vraiment. Sans avoir envie d'en rire, il se trouvait semblable à la petite Aurore, la princesse de la Belle au Bois Dormant ; il avait reçu des dons au berceau en héritage direct de sa famille, de ses parents. Ils ne lui appartenaient pas, il ne les avait pas mérités lui-même. Si on les lui enlevait, que restait-il alors ?
Rien. Il ne reste rien.
Quand Elias se regardait dans une glace, c'était son père, qu'il voyait. Et quand il regardait son père, c'était lui, plus âgé, qu'il percevait.
Il aurait voulu s'écorcher vif, arracher cette peau empruntée, cette aspect donné par ses parents, qui leur appartenait. Elias avait tranché dans sa chair, dans l'espoir de mettre au jour ce qu'il était vraiment au fond de lui, c'est-à-dire un amas de cellules et de viande inutiles, semblables à toutes les autres, sans qualités, sans particularités propres.
Puisque, sans sa chair, il n'était rien.
Il revenait de loin, paraissait-il. Il avait entendu la discussion du médecin avec son père ; un peu plus profond et il aurait perdu l'usage de ses mains, abîmant trop gravement les ligaments de ses poignets.
Tout ça à cause d'une putain de paire de boucles d'oreille.
Il avait bien minuté son coup pourtant ; son père et sa mère partaient trois jours, James était chez des amis. La maison aurait dû être à lui, et personne ne l'aurait découvert avant le soir du troisième jour, déjà froid et raide.
Mais non.
Sa mère avait forcé son père à faire demi-tour, pour revenir chercher les si précieuses boucles d'oreille d'or et de porcelaine qu'elle chérissait tant. Elle était montée à l'étage, les avait récupérées dans leur écrin oublié. S'était dirigée vers la salle de bain des garçons, puisque la sienne et celle de père était fermée à clé le temps de leur séjour. Il paraît qu'elle avait lâché l'une des boucles, de surprise, en pénétrant dans la salle de bain et en découvrant la scène morbide. La boucle s'était fracassée sur le carrelage.
A coup sûr, elle ne le lui pardonnerait jamais.
Elias eut un sourire amer.
J'aurai dû les avaler pour m'étouffer avant de me vider de mon sang, tes putains de boucles d'oreille.
Installé dans le divan moelleux de la psychiatre la plus chère de la ville, Elias s'efforçait de rester impassible.
On l'avait finalement laissé sortir dès qu'il avait fait preuve de "bonne conduite", cessant de se comporter comme un sauvage, acceptant enfin de manger leur nourriture dégueulasse, et surtout dès qu'il avait fait mine de regretter sa tentative de suicide. De la poudre aux yeux, évidemment ; Elias ne prévoyait pas de planifier de nouveau sa mort dès qu'on lui ficherai la paix car l'envie lui était passée pour le moment, blasé qu'il était, mais il ne regrettait absolument pas son geste.
Maintenant il devait donner le change et se comporter comme un pauvre petit adolescent de seize ans perturbé pour des broutilles, afin que l'affaire soit classée, qu'on l'oublie, et qu'aux yeux des autres son acte ne devienne qu'un incident de parcours.
Elias n'avait pas peur des psychiatres, des psychothérapeutes, et de tout le bataillon. Il les fréquentait depuis bien assez tôt ; ses parents avaient cru bon de faire évaluer son intelligence régulièrement, une fois à six ans, une autre à dix ans, et une nouvelle fois encore cette année - il avait toujours obtenu le plus haut "score" de la famille, d'ailleurs... Il s'en fichait, sauf par rapport à James, qui enrageait.
Il avait également eu droit à un suivi psychologique serré plus jeune, concernant des faits dérangeants, des petits "accidents" survenus à l'école et au collège ; mystérieusement on n'avait jamais pu prouver formellement sa culpabilité à chaque fois, mais les victimes de ces sales tours ayant été catégoriques en plus d'être passablement traumatisées, ses parents avaient jugés bon de le faire suivre sous la pression des directeurs d'établissements et des parents des petites victimes. Et à chaque fois Elias s'était comporté comme un ange, rassurant son entourage, apparaissant comme celui qui avait été "au mauvais endroit, au mauvais moment".
Il savait donner le change.
Elias avait été tenté d'expliquer, plusieurs fois dans son enfance, qu'il n'avait rien d'un psychopathe en culotte courte ; il ne faisait jamais de mal gratuitement aux gens. Non, il se vengeait, tout simplement.
Les garçons, les hommes, avaient une nette propension à se casser mutuellement la figure pour régler les conflits ; pas Elias. Il lui arrivait parfois de céder à la violence directe quand il n'avait pas d'autres moyens d'agir, certes, ou plus rarement quand il sortait totalement de ses gonds. Parce que l'arme favorite d'Elias, ce n'était pas ses poings, mais la vengeance. Peut-être était-ce à cause de James, qui l'avait torturé dès les premières années de sa vie jusqu'à ce qu'il apprenne à rendre les coups ; en tout cas, Elias était incapable de pardon. Si on l'agressait, si on lui portait atteinte de quelque manière que ce soit, il ne saurait passer à autre chose tant que sa vengeance n'était pas assouvie.
Et heureusement, l'envie de le démontrer au monde lui était passée avec l'âge. N'apprenant à compter que sur lui-même, il n'aurait eu aucun intérêt à révéler ce sale petit secret à une tierce personne. Lorsqu'on grandit dans une famille de requins, on apprend à ne pas présenter son flanc, afin de ne pas être mordu.
Aussi Elias restait calme, répondait aux questions de la psychiatre sans prendre l'initiative de lui parler. Elle cherchait à lui faire avouer par tous les moyens de bêtes problèmes, des frustrations qu'il aurait eues, pour expliquer son geste.
Bien sûr. Les jolis garçons riches ne peuvent pas avoir de problème, n'est-ce pas ?
Elle était peut-être chère, mais elle était mauvaise.
Répondant à une énième question sans intérêt, Elias la fixa, impassible.
Qu'est-ce que tu crois, pauvre demeurée ?
Je vois à la photo sur ton bureau que tes parents sont manifestement des gens ayant eu une vie modeste, dans la petite ferme délabrée qu'on voit derrière eux. Tu as eu une vie modeste. Tu déteste les gens aisés, les gens privilégiés dont je fais partie. Tu trouve que l'argent est la plus grande injustice de ce monde, hein ? Tu te fais payer si cher, parce que tu as l'impression de te venger, de t'enrichir sur le dos des riches.
A côté de ton bureau, il y a une pile d'exemplaires de ton livre, dont tu es si fière. Sans doute les as-tu dédicacés à l'avance. Tu vas essayer de m'en refourguer un quand on se quittera. Tu te pense intellectuelle, car l'intellect ne s'achète pas.
Je ne t'ai pas dit que j'ai été diagnostiqué surdoué dès mes six ans. Tu serai jalouse. Mes parents ne te l'ont pas dit, car ils comptent sur moi pour le faire. Ils pensent que j'en suis fier. Pauvres cons. Le bonheur diminue là où l'esprit abonde, seuls les imbéciles heureux l'ignorent.
Tu me regarde avec un sourire de commisération, mais je vois dans tes yeux que tu me méprise. Tu pense que je me suis inventé des problèmes, que mon malheur n'a pas lieu d'être. Les gens bien nés n'ont jamais de problèmes, hein ?
J'ai laissé mes parents m'expédier ici car je tiens à mon papier de sortie. Je préférerai crever plutôt que de me confier à toi. Je sais ce que va être ton traitement ; tu va me renvoyer avec une ordonnance pour que je puisse me bourrer de cachets.
Parce que selon toi, je n'ai pas de problèmes.
Tu me demandes pourquoi j'ai voulu mourir, je m'entends te répondre avec ma petite voix de victime, que j'ai répétée pour l'occasion, que j'avais un chagrin d'amour. Tu t'y attendais, hein ? Les riches réfléchissent avec leur portefeuille et leur bite, c'est bien connu.
Mais tu voudrais vraiment savoir pourquoi ? Tu voudrais que je te dise que je ne peux même plus me supporter dans un miroir ? Que j'ai l'impression d'être un foutu clone de mon paternel, l'être que je hais le plus sur cette terre ? Je suis une belle pomme, rouge, luisante et sans imperfections, mais déjà je sens le ver à l'intérieur de moi commencer à me gangrener. Je suis destiné à devenir ce qu'est mon père, ce qu'était son père avant lui. Je suis né avec du sang pourri, qui fait de moi une belle ordure. Je suis vicié dans mon sang, dans mon être. Je suis incapable d'amour et d'empathie, la vengeance et la satisfaction personnelle et égoïste sont mes raisons de vivre, dussé-je marcher sur des cadavres. Il n'y a qu'un pas entre mon demi-frère et moi, quand je serai devenu comme lui, j'aurai franchi le point de non-retour.
Je ne supporte plus de me voir dans les miroirs. Ce fameux jour, j'ai brisé le plus grand de toute la maison, le préféré de ma mère. Je me regardais, et j'ai vu mon père. Je l'ai brisé avec mon poing, oui, je me suis mis mon poing dans la gueule, j'ai explosé ce putain de reflet. Tout craquelé, il me ressemblait mieux, comme si j'étais Dorian Gray, avec son portrait vicié. Mais ça ne suffisait pas. Alors j'ai ramassé les éclats de verre, et je me suis lacéré, lacéré, et lacéré encore, dans l'espoir d'en finir enfin. Je me suis regardé mourir.
Tu le comprendrais, ça ?
Bien sûr que non. Tous les gens veulent être beaux et riches, c'est bien connu.
- Est-ce que tu as compris ton geste, maintenant ?
Hochement de tête penaud.
- Bien sûr. Je... Je sais que c'était stupide, maintenant. Que j'ai fait peur à tout le monde, et je m'en veux, je m'en veux tellement...
Les séries télé débiles avaient du bon, finalement. Elias avait un peu de mal à fournir la petite larme, mais tout le reste y était ; le ton, la mine défaite, le regard fuyant. La psy gribouilla quelque chose sur son carnet.
Laisse-moi deviner ; "pauvre petit imbécile qui s'est pris pour Roméo mais regrette d'avoir peiné papa et maman - problème résolu, prescrire antidépresseurs" ?
- Nos séances ont porté leurs fruits, Elias, tu vois. C'est l'heure, je verrai tes parents la prochaine fois et je leur expliquerai ce que tu n'as pas su leur dire, d'accord ? En attendant, je vais voir avec ton médecin s'il est possible de te prescrire quelque chose pour apaiser tes angoisses.
Je t'en prie, fais donc. Je n'avalerai pas un seul de tes foutus cachets, je les mettrai de côté l'un après l'autre. Pourquoi ne pas les avaler tous d'un coup un jour prochain ?
Elias la remercia poliment et quitta le cabinet avec un livre sous le bras, après lui avoir remis une enveloppe de liquidité bien remplie pour payer la séance et le pavé.
Sitôt hors du bâtiment, il jeta le livre dans la première poubelle venue.
C'était de faux billets, de toute façon.